Quand l’abbé Pierre menaçait ceux qui dénonçaient ses agissements - C à vous - 09/09/2024
Published: Sep 08, 2024
Duration: 00:13:00
Category: Entertainment
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La vie de ceux qui habitent
en grande couronne ne l'intéresse pas vraiment. Je ne veux pas que Paris
se barricade. Ceux qui empruntent le périph,
c'est d'abord ceux qui n'habitent pas Paris. - P.Cohen: Vous êtes donc contre? - A.Bergé: Oui. Si c'était une expérimentation
pendant quelques mois, qu'on mesure les effets sur l'environnement,
le trafic... Je n'ai pas l'impression
qu'elle soit totalement dans un esprit d'expérimentation,
de concertation et de dialogue. - A.-E.Lemoine: Merci. Depuis vendredi,
la Fondation Abbé-Pierre ne s'appellera plus ainsi. Au siège Emmaus France à Montreuil,
les posters, images et affiches du fondateur ont disparu. Des mesures chocs prises
alors que 17 nouveaux témoignages visent l'abbé Pierre et s'ajoutent
à ceux de cet été, des accusations de viols, d'agressions sexuelles,
notamment d'une petite fille de 9 ans à l'époque des faits. Loin de l'icône de l'hiver 54,
c'est le portrait d'un prédateur qui est aujourd'hui dressé
par un rapport d'Emmaus. *-Plus de quelques secondes
de conversation, l'abbé Pierre a posé cette question
à une jeune femme: "Est-ce que tu te touches en pensant
à moi?" Elle lui a répondu: "Non, père,
je ne pense pas à vous comme ça." - Il l'a emmenée
dans un appartement parisien dont il avait la clé
pour passer la nuit. Il se masturbait devant elle
et lui demandait des fellations. Il propose des relations sexuelles
avec une autre femme. Le spectacle de 2 femmes ensemble
l'excitait. - A.-E.Lemoine: Soeur V.Margron,
merci d'être là. H.de Neuville,
vous êtes journaliste à "La Croix". Vous avez accès au rapport. Cet été, il était question d'actes
non désirés. Là, il est question de viol. On a passé un cap dans la gravité
des accusations? - H.de Neuville: C'est une escalade
brutale dans les accusations. Les premiers témoignages
qui étaient portés allaient de la parole graveleuse
à la main non désirée. Cela restait en dehors
des questions de viol. Ce qui marque
dans ces 17 témoignages qui viennent de sortir, c'est
qu'ils concernent une petite fille de 9 ans au moment
des faits. C'est de la pédocriminalité. Il y a aussi des femmes
qui rapportent des viols. La 3e chose qui me paraît
importante, ce sont les femmes qui rapportent
qu'elles ont été agressées par l'abbé Pierre
alors qu'elles s'adressaient à lui pour un logement. Il profitait de sa position
de pouvoir pour potentiellement agresser des femmes. - A.-E.Lemoine: Les faits s'étalent
sur des décennies. Ca veut dire qu'il a toujours eu
ce comportement de prédateur? V.Margron,
vous êtes celle qui a reçu le témoignage de la 1re victime. - Soeur V.Margron: Cette femme
a dit très clairement qu'elle avait été victime
d'agressions sexuelles quand elle était mineure,
puis quand elle était jeune majeure. Ses parents étaient très proches
de l'abbé Pierre. C'est
pour ça qu'elle était en contact avec lui depuis toute petite,
sans doute. Pour elle, c'était très clair. Elle n'a jamais oublié. Elle a toujours été profondément
marquée de ce qu'elle a subi. Cette dame avait parlé. Elle avait parlé avec son père
qui l'avait crue. Ils avaient parlé
tous les 2 à l'abbé Pierre. Le papa avait écrit une lettre
que l'abbé Pierre a déchirée devant eux. Vous pouvez imaginer la violence,
cette sorte de mépris terrifiant. Après, cette dame n'a plus parlé
pendant des décennies, forcément. Il faut faire très attention
aujourd'hui. Très souvent, les victimes
ont parlé avant, mais personne ne les a entendues et personne
n'en a rien fait. - A.-E.Lemoine: Il y aura
de nouveaux témoignages tout aussi accablants? - H.de Neuville: C'est
très probable. L'abbé Pierre a passé des années,
presque la moitié de sa vie, à l'étranger. Il va falloir explorer ça. Il y a des témoignages de mineurs,
probablement garçons et filles. Des parties de sa vie inexplorées
et la diversité des contextes dans lesquels il aurait agressé. Ca va de l'Assemblée nationale
à des proches de la famille, à des infirmières,
quand il était hospitalisé... Des salariés d'Emmaus... On peut imaginer une escalade
brutale dans le nombre. - A.-E.Lemoine: Comment un homme
aussi public a pu sévir sans être inquiété? - Soeur V.Margron: C'est la raison
de la grande colère que nous devons éprouver et que doit éprouver
le mouvement Emmaus aujourd'hui. Ce n'est pas pensable que quelqu'un
ait tant sévi alors qu'il était un des hommes
les plus publics de France. La question est de savoir qui a vu
et n'a rien dit? Qui aurait pu voir et n'a rien vu? Qui a su et n'a pas voulu savoir? Tout ça doit être travaillé
autant qu'on le puisse. On ne saura jamais tout. C'est une forme de justice que l'on
doit aux victimes, à leurs proches, au mouvement Emmaus, à tous ces gens extrêmement
généreux et engagés qui servent le mouvement, la lutte
contre le mal-logement. On le doit à tout ce monde,
à commencer par les victimes. - A.-E.Lemoine: L'abbé Pierre n'a
pas hésité à menacer de poursuite ceux qui l'accusaient. C'est ce que révèle une partie
de la correspondance de l'abbé Pierre. Ca s'est passé notamment
lors d'un voyage au Canada. Le cardinal québécois
qui le soupçonnait d'agression l'a mis en garde. L'abbé Pierre lui a écrit. Il pouvait être menaçant envers
ceux qui voulaient dénoncer ses agissements? - Soeur V.Margron: C'est
ce qu'on découvre. Je ne l'ai jamais rencontré. C'est ce qu'on découvre
aujourd'hui. Un certain nombre de gens savaient. Cet homme était violent,
dans une forme de toute-puissance. S'il sentait sa toute-puissance
un peu menacée, il devenait menaçant envers ces personnes. Cela aussi, ça doit être analysé. On est devant quelque chose
qui a une ampleur terrible, de par chaque victime. Il y a sans doute
beaucoup d'autres victimes. Chaque victime
est une histoire singulière qui a été fracassée, dont souvent
les proches ont été fracassés. Chaque victime
est une victime de trop. Il faut aussi s'interroger
sur comment c'est possible d'avoir autant idolâtré une personnalité... - A.-E.Lemoine: Il était vu
comme un saint. - Soeur V.Margron: Une victime
a déclaré qu'en fin de compte, il était comme un dieu. Comment vous attaquer à Dieu? C'est impossible. En plus,
tout l'entourage vous dit: "Non, vous ne vous rendez pas compte..." C'est impossible. Je me rappelle aussi de la dame
que j'ai reçue. C'était surtout ne pas nuire
au mouvement. Elle sait tout ce que fait
le mouvement Emmaus contre le mal-logement. On sentait bien que c'était
sa peur. Sa peur première était de ne pas
être crue, mais sa 2e peur était que l'on
pense qu'elle agisse contre le mouvement. - E.Tran Nguyen: L'abbé a été mis
au repos forcé et envoyé dans une clinique psychiatrique
en Suisse. Il est interné officiellement
pour des raisons de santé. - H.de Neuville: Ca arrive
presque 2 ans après un voyage catastrophique
aux Etats-Unis et au Canada. Il y va pour promouvoir Emmaus. Scandale sur scandale. Des femmes rapportent
qu'il les a agressées. Le voyage américain est écourté. Ensuite, il va au Québec. Ca va tellement loin que l'affaire
se règle entre les autorités locales et l'Eglise. Il rentre en France. Les autorités de l'église n'ont pas
d'autres choix que de l'envoyer en Suisse. Ce n'est pas courant. Il y avait des structures
pour s'occuper des prêtres. Pour envoyer un prêtre
à l'étranger, le degré de gravité est très fort. On lui colle un chaperon,
même à l'hôpital. - P.Cohen: Ca,
c'est dans ses biographies. - A.-E.Lemoine: Il était malade. - H.de Neuville: On parlait
de "manquements à la chasteté", de "pulsions",
pas de rapports non consentis. - Soeur V.Margron: Je pense
que ça a participé d'une sorte de légende. Comme il le racontait
comme des sortes d'aventures, au lieu de voir les violences
comme des violences, c'était perçu comme appartenant
à ce cercle, à cette interprétation. - E.Tran Nguyen: Les institutions
sont aussi responsables, notamment l'Eglise? - Soeur V.Margron: D'une façon
ou d'une autre, oui. Cet homme
était un prêtre catholique, jusqu'à sa mort. L'Eglise catholique, je ne sais
pas de quelle façon, il faut le rechercher... D'où l'importance d'une enquête,
a forcément des responsabilités. On voit intervenir des évêques... Il y a eu des responsables
dans l'Eglise catholique, je ne sais lesquels, qui ont su. Il faut
savoir ce qu'ils ont transmis, à qui. Tout ça doit être recherché. - A.-E.Lemoine: C'est
une des raisons pour lesquelles il n'y a pas eu de canonisation? - H.de Neuville: Déjà,
de son vivant, il avait avoué des manquements à la chasteté. S'il y avait eu
la moindre accusation portée, se serait sorti de manière interne. - A.-E.Lemoine: Ses victimes
peuvent-elles encore être réparées? La reconnaissance des faits suffit? - Soeur V.Margron: La
reconnaissance des faits ne peut pas suffire. Tragiquement, plus rien
ne peut suffire. Personne ne peut effacer
le mal qui a été fait. Il faut rester très modeste
dans les propos. Les victimes qui le souhaitent
doivent pouvoir se voir proposer un processus
de reconnaissance singulière, une par une. On appelle
cela un tiers de justice. Quelqu'un qui fait tiers
pour que la victime soit en sécurité, que sa parole
soit entendue. Que ça aille
jusqu'à des réparations qui, bien sûr, sont partielles. Qui peut imaginer réparer des vies
parfois fracassées? Il faut des réparations morales
et financières. - A.-E.Lemoine: La Fondation
Abbé-Pierre et Emmaus ont immédiatement
pris des mesures fortes en changeant de nom et en enlevant
tout ce qui pouvait figurer cet homme, notamment
dans les locaux d'Emmaus France. Des communes annoncent
qu'elles vont débaptiser des salles, des rues, des jardins. Il faut "canceler" l'abbé Pierre? - H.de Neuville: Il faut séparer
l'oeuvre et le fondateur. C'est une question de crédibilité
et de confiance. - Soeur V.Margron: Il ne faut pas
l'effacer. Si vous l'effacez,
vous effacez les victimes. Que l'on débaptise
tout ce qu'on veut, à commencer par la fondation abbé Pierre, bien
sûr, à commencer par le symbole. Toutes les personnes
qui sont aidées par cette fondation ont le droit d'être aidées. Il faut faire très attention
à ce qu'on fait. Il ne faudrait pas faire
comme si l'erreur n'avait pas existé. - A.Bergé: Il faut réaliser
qu'il n'y a pas de prédateur type. Il n'y a pas un profil type
de l'agresseur. Ces violences existent
partout autour de nous. Dans nos maisons,
nos organisations... Ca peut être une icône absolue. Il n'y a pas de profil type. - A.-E.Lemoine: Merci, V.Margron.