Je retrouve une possibilité
de déployer ma voix sans me sentir illégitime. - A.Trapenard: L'idée est d'écrire
un autre récit que les récits occidentaux qu'on pourrait lire? - A.Zeniter: Oui. Si je m'étais dit que je
n'avais pas le droit de faire parler des Kanaks, j'aurais produit
un récit qui aurait ressemblé à la triste épopée coloniale
que l'on connaît, c'est-à-dire une invisibilisation totale
de cette population et un récit de la Nouvelle-Calédonie qui ferait
comme si elle n'avait jamais été Kanaky. C'est encore plus insupportable
de se dire: "Est-ce que j'ai le droit?" - A.Trapenard: On va commencer
à faire notre tour du monde ce soir. 1re escale: Nouméa. Ca fait 23 heures de vol depuis
la France métropolitaine. Le personnage par lequel on entre
dans cette histoire, Tass, est née à Nouméa et a grandi avec le rêve
de s'envoler un jour vers la métropole pour devenir
journaliste. Elle a fait la navette entre
sa terre natale et Orléans, sans jamais trouver l'équilibre
entre ces 2 endroits. Après une rupture amoureuse,
un jour, elle décide de rentrer dans son île natale,
où elle va enseigner et où elle va être fascinée
par 2 de ses élèves kanaks qui sont jumeaux. Ca commence par ce vol vers Nouméa. Tass interroge la manière
dont la Nouvelle-Calédonie est perçue par les métropolitains. Quand elle dit d'où elle vient,
elle remarque une sorte de gêne chez ses interlocuteurs. Pourquoi la simple évocation
de la Nouvelle-Calédonie crée de la gêne? - A.Zeniter: L'ignorance
est tellement épaisse chez ses interlocuteurs
qu'il est difficile de faire sortir des questions de ça. On a très peu de références
à partir desquelles on pourrait rebondir. Les gens échouent, ne serait-ce
qu'à citer une figure connue. - A.Trapenard: Vous parlez
d'obscurité dès le début du livre. - M.de Kerangal: Ils ne la situent
pas. Ils se trompent. "C'est Tahiti?" - A.Zeniter: Ils confondent
avec tous les archipels du Pacifique. Une fois qu'on l'a située,
on se demande: "Pourquoi c'est à nous, ce caillou
dont je ne connais rien? Qu'est-ce qui fait que c'est tombé
dans l'escarcelle coloniale?" On arrive à des questions gênantes
qu'on préfère taire. - A.Trapenard: On ne va pas
les taire. On va les poser. Il faut nous aider à y voir
plus clair. Pour quelles raisons
le gouvernement français s'intéresse-t-il à cet archipel
au milieu du XIXe siècle? - A.Zeniter: Il y a des questions
de guerre d'influence dans le Pacifique. Chacun essaie de prendre possession
du plus de cailloux possible. Mais ce qui fera la création
de cette colonie, c'est que le gouvernement français
cherche une colonie pénitentiaire de remplacement car en Guyane, les condamnés
meurent trop vite. Comme on a cet espoir qu'au bagne,
ces gaillards puissent retrouver la rédemption, on se dit qu'il faut
trouver un endroit où ils ne meurent pas tout de suite, pas la 1re année. Il faut un endroit plus salubre. Quelqu'un dit: "En 1853, on
n'avait pas mis la main sur un archipel assez joli
avec de l'eau potable?" La colonie pénitentiaire
de remplacement était trouvée. A partir de là, on y envoie
pendant un demi-siècle 25 000 personnes. - A.Trapenard: Au détriment
du peuple kanak. - A.Zeniter: Quand on regarde
les documents, le peuple kanak n'existe quasiment pas. On les met dans des réserves. On les a chassés de leurs terres
et on considère, avec les termes darwinistes de l'époque, que c'est
une "race fossile vouée à l'extinction". A la limite, on peut les observer
avec un intérêt. C'est assez exotique. Mais l'homme blanc est persuadé
que c'est son avènement qui crée le pays. - A.Trapenard: J.Ferrari, ça doit
vous intéresser. Vous vous intéressez
à la confrontation entre le voyageur et l'indigène dans ce livre, mais également
dans le triptyque que vous prévoyez d'écrire, et dans certains livres
précédents, aussi. - J.Ferrari: La question
de la Nouvelle-Calédonie est spécifique. Je ne veux pas faire de comparaison
avec la situation en Corse, qui me paraît assez déplacée. Ce qui m'intéressait
dans le projet, c'est de faire des variations sur différents types
de rapports qu'on peut avoir avec l'autre. Le 1er tome de ce qui devrait
être un triptyque... Je ne veux pas m'avancer. - A.Trapenard: Je n'ai pas inventé. - J.Ferrari: Il faut bien mettre
quelque chose. C'est un projet théorique. Il faut que les 2e et 3e tomes
soient écrits. - A.Trapenard: Je vous sens
inquiet, Jérôme. - J.Ferrari: Je le suis toujours. Ils sont vaguement pensés. Le 1er tome, c'est sur le tourisme. J'aimerais consacrer le 2e
à l'exploration, notamment au XIXe siècle: que fait
un voyageur qui arrive pour la 1re fois
sur une terre inconnue, l'image qu'il a de l'autre, la manière
dont il transforme radicalement l'endroit où il arrive. - A.Trapenard: Et les conséquences,
les répercussions. A.Zeniter, en quoi l'histoire
de cette colonie pénitentiaire pèse-t-elle encore
sur la Nouvelle-Calédonie? - A.Zeniter: Dans le cas de Tass,
qui est l'un des personnages principaux, elle connaît très peu
la question de ses ancêtres. Elle sait qu'ils ne sont pas d'ici. Qu'est-ce qui a généré ce bond
de presque 20 000 km? Qu'est-ce qui fait que sa famille
est arrivée au bout du monde? Comment vit-on avec ça? A l'orée de l'indépendance, comment
se positionne-t-on? Est-ce que le fait de ne pas appartenir au peuple
premier fait qu'on est du côté des colons
ou existe-t-il une 3e voie? La Nouvelle-Calédonie
a cette histoire de populations très nombreuses venues
de tous les coins de l'empire colonial français, mais pas
seulement. Ce sont des gens amenés de force,
et parmi eux, des forçats algériens. - A.Trapenard: Le livre
est vertigineux. Il renvoie à une histoire qui
n'est pas non plus pas la vôtre. Le livre résonne avec l'actualité,
mais vous l'avez écrit avant. - A.Zeniter: Oui. Je l'ai écrit au moment
où les 3 référendums sur l'indépendance étaient passés,
et les 3 avaient obtenu des résultats
contre l'indépendance, avec un boycott par les Kanaks. Les 3 référendums prévus
par les accords politiques précédents étaient passés. On avait 2 camps qui se racontaient
une histoire complètement différente. Les loyalistes disaient: "Les
résultats sont là. On va rester dans la France. On pourrait même devenir
un département, au lieu d'être un territoire d'outre-mer." Les indépendantistes disaient: "Les
résultats ne comptent pas." Un militant kanak disait: "La
rivière a toujours coulé de la montagne vers la mer." Il y avait cette posture
en direction de l'indépendance, peu importe les référendums. Je me suis installée là-dedans
en me demandant ce qu'était un pays qui n'avait aucune idée
de son avenir et où la population se racontait des choses
qui ne pouvaient pas coexister. - A.Trapenard: J'aime la façon
dont elle se raccroche à des récits, à des poèmes. C'est là où la littérature
intervient dans votre texte. Je pense à L.Michel, grande figure
de la Commune, qui traverse votre roman. Quel est le lien entre L.Michel
et la Nouvelle-Calédonie? - A.Zeniter: L.Michel a été envoyée
au bagne après son arrestation comme communarde, comme prisonnière
politique. C'était une partie particulière du bagne, sur l'île des Pins. Elle a beaucoup écrit
quand elle était là-bas. C'est la seule femme
parmi les bagnardes qui a témoigné par écrit de sa condition. - A.Trapenard: J'aimerais que l'on
lise les mots de L.Michel. J'accueille I.Jacob, qui nous fait
l'amitié de sa présence pour nous lire un texte de L.Michel
qui évoque une période de sa vie. Ce texte s'appelle: "Le Chant
des captifs". - I.Jacob: "Ici, l'hiver n'a pas
de prise. Ici, les bois sont toujours verts. De l'océan, la fraîche brise
souffle sur les calmes déserts. Si profond est le silence
que l'insecte qui se balance trouble seul le calme désert. Le soir, sur ces lointaines plages, s'élève parfois un doux chant:
ce sont de pauvres coquillages qui le murmurent en s'ouvrant. Dans la forêt, les lauriers roses, les fleurs
nouvellement écloses frissonnent d'amour sous le vent. Viens en sauveur, léger navire,
hisser le captif à ton bord! Ici, dans les fers, il expire:
le bagne est pire que la mort. Dans nos coeurs survit l'espérance,
et si nous revoyons la France, ce sera pour combattre encore! Voici la lutte universelle:
dans l'air plane la liberté! A la bataille nous appelle
la clameur du déshérité! L'aurore a chassé l'ombre épaisse,
et le monde nouveau se dresse à l'horizon ensanglanté." Applaudissements. - A.Trapenard: Merci, Irène. Installez-vous avec nous. Quel texte magnifique de L.Michel. A.Zeniter, que vous racontent
ces mots? - A.Zeniter: Ils racontent
une autre histoire du bagne que celle des ancêtres de Tass. L.Michel a déjà cette arme
de l'écriture. Quand elle est au bagne, elle peut
encore témoigner. Je me dis parfois que les textes
ont été réécrits, tellement l'envie de lutter
ne s'éteint jamais. Elle est dans un bateau
pour un trajet qui dure 150 jours, et elle dit: "Quand on reviendra,
on reprendra la lutte." C'est incroyable. Les ancêtres de Tass,
qui sont un jeune homme kabyle et Eugénie, une prostituée
bretonne, sont des gens qui vont arriver là sans jamais avoir écrit
et sans avoir la possibilité de rentrer. Quand ils arrivent dans ce monde
neuf dont ils ne connaissent rien, dont tout leur est étranger,
les arbres, les langues, on leur dit qu'il faudra construire
quelque chose qui ressemble à une vie ici. "Fais ta cabane. Apprends à cultiver ce sol. Fais des enfants. Jamais il n'y aura le chez-toi
d'avant." C'est très étonnant. - A.Trapenard: Ce texte appelle
à un monde nouveau. Il appelle à imaginer un monde
nouveau. Qu'est-ce qui vous a traversée
quand vous l'avez lu, Irène? - I.Jacob: C'est dingue, la vision
qu'elle a. "Le monde nouveau se dresse." Elle arrive à emmener
avec elle tant de personnes parce qu'elle vit pour la Commune. C'est son grand amour. Elle ne craint pas la mort. Elle a ce rêve-là, et c'est
le seul. J'aime beaucoup ce mot
de "déshérité". Ce sont des gens
qui avaient les moyens, mais qu'on a déshérités. - A.Trapenard: De quel monde
nouveau rêvez-vous, A.Zeniter? - A.Zeniter: Il ressemble
à celui du trio de "Frapper l'épopée". Un monde où on peut se sentir
touché par des vies qui ne sont pas
les nôtres, qui sont aussi étrangères
aux nôtres. Je veux que les romans me fassent
ça quand je les lis. Je rêve que les miens fassent ça
quand on les lit. - A.Trapenard: "Frapper l'épopée"
d'A.Zeniter. Ca vient de paraître
chez Flammarion.
Qui est particulièrement isolé. ce livre est somptueux. il raconte bien à quel point
un lieu peut nous forger. applaudissements. - a.trapenard: "la grande
librairie" a fait sa rentrée. autour de moi, 5 romanciers:
a.zeniter, m.de kerangal, j.ferrari, m.bonnefoy et s.dulude. m.de kerangal va nous donner... Read more
Cet art de ne jamais céder
à la facilité. j'annonce la parution prochaine
de "edène", votre prochaine pièce de théâtre. irène, restez un peu avec nous. on va vous donner envie de lire. vous êtes une amie. c'est sur une autre terre insulaire
qu'on va se pencher avec vous, j.ferrari, dans "nord sentinelle".... Read more
- a.trapenard: "jour de ressac",
m.de kerangal. pour moi, c'est votre plus beau
livre. - m.de kerangal: merci. - a.trapenard: je les ai tous lus. on va poursuivre notre voyage
avec une autre ville qui se situe, pour nous, de l'autre côté
de l'océan atlantique: maracaibo, au venezuela. c'est une ville... Read more
- a.trapenard: "si on lisait à voix
haute". "la grande librairie" fait
sa rentrée, en direct et en public,
pour sa 17e saison. je voudrais vous présenter
un extraordinaire écrivain. vous savez à quel point
les nouveaux romans sont importants pour moi. j'ai envie de les porter
chaque semaine. ce 1er... Read more
À 20 ans j'ai appris la médecine être médecin ce n'est pas prescrit des médicaments mais regardeer les autres et tenter de comprendre leurs souffrances très tôt j'ai été en contact avec le drame la douleur et la mort et un jour j'ai eu besoin de partager je n'ai pas raconté directement ce que j'ai vécu... Read more
Bonjour à tous bonjour bruno cotr alors demain se dérouleront des élections législatives le premier tour que personne n'imaginait il y a encore un mois dans quel état d'esprit sont aujourd'hui les français il y a toujours beaucoup d'incompréhension d'abord sur cette dissolution c'est les premiers mots... Read more
Est grands reporter à france télévision et en 30 ans elle a couvert absolument tous les conflits partout sur la planète de la tchéie à l'irak en passant par l'afghanistan et l'ukraine dorothé olirque bonjourj bonjour dorothé vous avez le micro juste devant vous vous êtes aussi maman maman de deux grands... Read more
C'est un c'est une tragédie qui qui qui traverse les décennies et qui on pourrait même dire qui traverse les siècles c'est un problème qui est très profondément ancré dans la en nouvelle-calédonie et dans la population canac et il fallait que ça explose encore à un moment malheureusement c'est maintenant... Read more
Parfois on me demande ce que je pense de la grande librairie jusqu'à récemment j'avais pas vraiment de réponse à cette question parce que bah c'est pas une émission qui m'intéresse spécialement en fait la grande librairie c'est vraiment une émission grand public coordonnée à l'actualité littéraire et... Read more
Sonia vous êtes un peu l'ambassadrice
de la boccia en france. on avait déjà eu le plaisir de vous croiser en 2013, c'était à
pont-à-mousson avec laurent luyat et cyril féraud. qu'est ce que vous pourriez dire à nos
téléspectateurs qui auraient envie de se lancer ? alors, déjà je dirais que quel... Read more
Hello everyone and welcome to pages listening to the podcast where we explore the classics of literature, business and the timeless stories that continue to fascinate us. i'm kelly, your host today we're diving into a gripping narrative that explores themes of identity, exile, memory and cultural transmission.... Read more
Bonjour et bienvenue dans les 4v jean-michel blanquer bonjour thomas so vous avez passé 5 ans au ministère de de l'éducation longévité record c'était pendant tout le premier quinquenat d'emmanuel macron et puis l'aventure politique s'est arrêté depuis vous n'aviez quasiment pas parlé aujourd'hui vous... Read more