- A.Trapenard: "Jour de ressac",
M.de Kerangal. Pour moi, c'est votre plus beau
livre. - M.de Kerangal: Merci. - A.Trapenard: Je les ai tous lus. On va poursuivre notre voyage
avec une autre ville qui se situe, pour nous, de l'autre côté
de l'océan Atlantique: Maracaibo, au Venezuela. C'est une ville dont les habitants prétendent qu'elle a été bâtie
par les enfants d'un rêve de jaguar. C'est le titre, "Le Rêve
du jaguar". Etre le fils ou la fille d'un rêve
de jaguar, qu'est-ce que ça peut vouloir dire? - M.Bonnefoy: Les habitants
sont convaincus que dans toute portée de chat,
il y a un jaguar. La mère chasse le jaguar
pour éviter qu'il dévore les autres, donc il grandit
différemment. Donc ils disent
qu'ils sont tous les enfants de jaguars. Cette allégorie est assez
symbolique du personnage principal du livre, Antonio, et sa femme,
Ana Maria. Ils ont des vies dickensiennes
et finissent, par leur ténacité, à suivre un rêve et peut-être
à le réaliser. Il y a une belle porosité entre
ce proverbe, cette expression, et l'histoire de ces hommes. - A.Trapenard: En quoi
on se construit à partir de mythes et de légendes? - M.Bonnefoy: Bonne question. On se demandait comment
des personnages pouvaient être enfermés dans une même
mythologie, comme s'ils pouvaient
être des personnages d'Homère qui seraient dans des châtiments
des enfers et qui ne pourraient pas sortir, une sorte de rêve,
comme si on avait prophétisé quelque chose. J'aime bien cette idée
de la destinée. - A.Trapenard: Quelles mythes
ou légendes vous ont construit? - M.Bonnefoy: J'ai grandi
dans une famille avec tant d'exubérance... Ma mère est un être tropical. Elle est foisonnante. - A.Trapenard: C'est un adjectif
extraordinaire pour parler d'une maman. - M.Bonnefoy: J'ai dû aller voir
du côté d'autres membres de ma famille pour faire la balance
entre sa fiction et ma réalité. Le livre est fragmenté
de bouturages. On saisit une fable. On saisit un récit, un souvenir,
une histoire qu'on t'a racontée, une lecture, un film
que tu as vu... Tu rassembles tout ça
dans une sorte de cocktail. Tu en sors une version
du Venezuela, du peuple, qui n'a peut-être rien à voir
avec la réalité, mais qui est peut-être plus réelle
que la réalité. - A.Trapenard: Il explore
dans "Le Rêve du jaguar" une réalité extraordinaire. Il y a des chats jaguars,
un papillon géant... C'est un roman qui vous fera
parcourir le Venezuela du XXe siècle
à travers les destins d'une lignée de visionnaires sur 3 générations. Le rêve de la génération
des grands-parents. Antonio et Ana Maria
ont tout donné. Leur rêve, c'était quoi? - M.Bonnefoy: Vous avez un accent
extraordinaire. Vous venez de Maracaibo? - A.Trapenard: Calmons-nous... - M.Bonnefoy: Antonio Borjas Romero
serait né sur les marches d'une église, dans une rue
qui porte aujourd'hui son nom. C'est mon grand-père, le père
de ma mère. Il serait parvenu à faire
des études, puis à partir à l'université,
à Caracas. - A.Trapenard: C'est dingue
comme vous ressemblez à votre grand-mère! Vous enlevez les boucles d'oreilles
et le rouge à lèvres, et on y est. - M.Bonnefoy: Il est allé
à l'université, est devenu médecin, cardiologue, chirurgien, et a fondé la 1re université
de l'Etat de Zulia, qui porte aujourd'hui son nom. Il y a un buste à son effigie
à l'entrée. Cet enfant élevé par une muette
dans l'analphabétisme fonde le 1er temple de la connaissance. - A.Trapenard: Rien
ne les prédestinait à se rencontrer et à vivre une grande histoire
d'amour. Existe-t-il des histoires
qui ne soient pas d'amour, pour vous? - M.Bonnefoy: Toutes les histoires
qu'on raconte ne sont-elles pas des histoires d'amour? - A.Trapenard: Celle de
J.Ferrari, pas trop. - M.Bonnefoy: Vous faites référence
à une scène du livre qui m'a été racontée dans la famille. Est-elle vraie ou fausse? Au fond, qu'importe. Quand la légende dépasse
la réalité... - A.Trapenard: Racontez-la-nous. - M.Bonnefoy: Il semblerait
qu'Antonio, récupéré sur ces marches de l'église,
a commencé sa vie à travailler comme homme à tout faire
dans un bordel, entouré de prostituées. Il n'avait jamais connu l'amour. Quand il est arrivé à l'université
en tant que jeune médecin, il rencontre Ana Maria, la seule
femme de toute la promotion. Ils tombent amoureux
l'un de l'autre. "Que faut-il faire
pour que vous tombiez amoureuse?" "Il faut que vous me racontiez
la plus belle histoire d'amour." Il prend un carton, va dans la gare
et écrit: "J'écoute les histoires d'amour." Il s'assoit et attend
que les passants lui racontent leurs propres histoires d'amour. Il les écrit dans un carnet. Il pose le carnet sur les genoux
d'Ana Maria. "Voici des histoires d'amour. Je n'en connais aucune,
mais je te propose qu'on écrive la nôtre." - A.Trapenard: J'applaudis... Qu'est-ce qui fait la beauté
d'une histoire d'amour, pour vous? - M.Bonnefoy: Sans doute son aspect
universel. La force d'avoir l'épaisseur
et le relief de se transposer ici et là, de devenir une musique qui peut être jouée ailleurs,
de devenir métonymie. - A.Trapenard: L'histoire
que vous venez de nous raconter est une histoire d'écriture. La question se pose
quand on vous lit. Une histoire d'écriture n'est
jamais innocente, dans un livre. A un moment donné, la grand-mère
donne un conseil à son petit-fils: "Si tu veux
devenir écrivain..." - M.Bonnefoy: "Parle
avec ceux qui ne le sont pas." C'est sans doute cette quête
que j'avais faite quand je suis parti vivre
au Venezuela après mes études en France. J'avais essayé de m'asseoir
à la table de personnes qui n'avaient rien à voir
ni avec la Sorbonne, ni avec les livres,
ni avec la hauteur des livres. Elles me racontaient
leurs histoires dans une autre langue et j'essayais
de les traduire, d'en saisir l'essence. C'est comme l'enfleurage,
pour avoir le parfum d'une fleur. On la distille et on peut
avoir une goutte de la fleur qui est plus fleur que la fleur,
tellement elle est réussie. En littérature, ça peut
être pareil. On va dans un pays, une ville,
on essaye d'en absorber l'huile essentielle. Tu décantes, tu distilles
avec des mots et des musiques. Tu essayes d'avoir une goutte,
qui peut être une page. Ca peut être le parfum
de la réalité. - A.Trapenard: Le personnage
du petit-fils vous ressemble un peu, Cristobal. - M.Bonnefoy: J'aimerais bien
être mieux que lui. - A.Trapenard: Il dit
que l'écriture est pour lui "une nécessité biologique". Qu'est-ce que ça veut dire? - M.Bonnefoy: Il a le malheur
de ne pas pouvoir faire autre chose . Il reçoit les informations du monde
avec une telle force qu'il est obligé de les transformer
en écriture, sinon il est inondé sous ça. - A.Trapenard: Est-ce qu'écrire
est une façon de rester en vie? - M.Bonnefoy: Sans doute de pouvoir
expliquer le monde, de mettre de l'ordre dans le grand chaos. Prendre tous ces deuils,
toutes ces violences, toutes ces colères et les jeter dans ce brasier d'or exalté
du forgeron pour en faire une nouvelle matière. Ce livre inspirera peut-être
d'autres livres plus tard. Tu as un système de transformation,
de forge alchimique qui forme des bibliothèques. - M.de Kerangal: J'écoute. Je suis émerveillée. Il nous donne beaucoup de leçons,
de pistes. C'est pas mal. - A.Zeniter: J'avais une question,
Miguel. - M.Bonnefoy: Merveilleux. - A.Zeniter: On parlait du fait
que la Corse, dans le livre de Jérôme, n'est jamais nommée,
mais qu'elle est là. Il y a cet espace discret. Chez toi, les marqueurs temporels
se font discrets, comme si on s'était arraché
au temps réel, même si, de temps en temps, on nous dit
"Seconde Guerre mondiale", "voiture"... Mais jamais tu ne multiplies
les trucs. Tu ne donnes pas les années. Et quand tu donnes des chiffres,
tu dis: "Mille histoires d'amour". Ces chiffres sont-ils vrais? Rires. - M.Bonnefoy: Cette question
est très belle. J'ai voulu raconter l'histoire
d'une famille qui traverse le siècle autant que le siècle
la traverse. Il fallait que j'aille d'année
en année pour les personnages, puisque j'en avais beaucoup. Il fallait faire une frise
chronologique pour ne pas se perdre dans les âges. Tout un siècle est traversé
par des bouleversements politiques, par la découverte du pétrole,
la dictature, les révoltes, le boom pétrolier... En travaillant
sur une documentation très politique et sociologique, j'avais peur que toutes ces dates
viennent salir ou souiller la magie de l'instant. - A.Trapenard: Si vous associez
cette magie au passé, au XXe siècle, que vous traversez
dans ce livre, je me suis posé la question:
le présent vous émerveille-t-il autant? - M.Bonnefoy: Pourquoi
il est si important? Parce qu'il n'y a pas de présent
sans les racines du passé. Pour comprendre mieux le présent
d'aujourd'hui, j'ai sans cesse regardé en arrière pour tenter
de voir quel était son chemin. - A.Trapenard: Le Venezuela
d'aujourd'hui connaît une crise politique majeure depuis
la réélection de N.Maduro. Dans ce Venezuela d'aujourd'hui,
où est le rêve, le merveilleux, la fantaisie? - M.Bonnefoy: Des voix s'élèvent,
aujourd'hui. On ne peut pas ne pas les entendre. Il y a plusieurs récits et versions
dans une lutte bruyante que le monde entier est en train
de voir. Il faut penser à la démocratie. Il faut d'abord penser à la lutte
des peuples et savoir que le Venezuela a une histoire
particulière. C'est une histoire de rente
pétrolière qui est à la fois sa perte et sa grandeur. Elle n'a peut-être pas su
diversifier, ramifier ses institutions,
son travail, son agronomie... C'est une situation complexe. - A.Trapenard: Ce que j'aime
dans le livre, c'est que vous déployez votre livre
de part et d'autre de l'Atlantique, entre l'Amérique latine
et l'Europe, la France en particulier. Vous célébrez la richesse
et la beauté d'une double culture. Dans un contexte un peu crispé
aujourd'hui de repli sur soi et identitaire, cela a forcément
un sens. - M.Bonnefoy: Mon histoire
est une histoire de migration et d'exil. Mon père est chilien, de Santiago. Il a été torturé par la dictature de Pinochet dans les années 60. Il est arrivé en France
dans un asile politique, à un moment où la France
avait des frontières poreuses et avait pu lui permettre
de s'installer en France, d'avoir un travail, la Sécurité sociale, et d'ensuite se multiplier. Si je suis français,
Je retrouve une possibilité
de déployer ma voix sans me sentir illégitime. - a.trapenard: l'idée est d'écrire
un autre récit que les récits occidentaux qu'on pourrait lire? - a.zeniter: oui. si je m'étais dit que je
n'avais pas le droit de faire parler des kanaks, j'aurais produit
un récit qui aurait... Read more
Qui est particulièrement isolé. ce livre est somptueux. il raconte bien à quel point
un lieu peut nous forger. applaudissements. - a.trapenard: "la grande
librairie" a fait sa rentrée. autour de moi, 5 romanciers:
a.zeniter, m.de kerangal, j.ferrari, m.bonnefoy et s.dulude. m.de kerangal va nous donner... Read more
Cet art de ne jamais céder
à la facilité. j'annonce la parution prochaine
de "edène", votre prochaine pièce de théâtre. irène, restez un peu avec nous. on va vous donner envie de lire. vous êtes une amie. c'est sur une autre terre insulaire
qu'on va se pencher avec vous, j.ferrari, dans "nord sentinelle".... Read more
- a.trapenard: "si on lisait à voix
haute". "la grande librairie" fait
sa rentrée, en direct et en public,
pour sa 17e saison. je voudrais vous présenter
un extraordinaire écrivain. vous savez à quel point
les nouveaux romans sont importants pour moi. j'ai envie de les porter
chaque semaine. ce 1er... Read more
À 20 ans j'ai appris la médecine être médecin ce n'est pas prescrit des médicaments mais regardeer les autres et tenter de comprendre leurs souffrances très tôt j'ai été en contact avec le drame la douleur et la mort et un jour j'ai eu besoin de partager je n'ai pas raconté directement ce que j'ai vécu... Read more
Bonjour à tous bonjour bruno cotr alors demain se dérouleront des élections législatives le premier tour que personne n'imaginait il y a encore un mois dans quel état d'esprit sont aujourd'hui les français il y a toujours beaucoup d'incompréhension d'abord sur cette dissolution c'est les premiers mots... Read more
Est grands reporter à france télévision et en 30 ans elle a couvert absolument tous les conflits partout sur la planète de la tchéie à l'irak en passant par l'afghanistan et l'ukraine dorothé olirque bonjourj bonjour dorothé vous avez le micro juste devant vous vous êtes aussi maman maman de deux grands... Read more
Parfois on me demande ce que je pense de la grande librairie jusqu'à récemment j'avais pas vraiment de réponse à cette question parce que bah c'est pas une émission qui m'intéresse spécialement en fait la grande librairie c'est vraiment une émission grand public coordonnée à l'actualité littéraire et... Read more
Place à la culture dami vous recevez ce matin le comédien thomas joanet bonjour thomas joanet bonjour merci d'être là sur le plateau en direct on vous retrouve mardi soir sur france 3 dans un téléfilm un polar thriller redoutable on en parle dans quelques instants mais là d'un mot on est en direct il... Read more
Sonia vous êtes un peu l'ambassadrice
de la boccia en france. on avait déjà eu le plaisir de vous croiser en 2013, c'était à
pont-à-mousson avec laurent luyat et cyril féraud. qu'est ce que vous pourriez dire à nos
téléspectateurs qui auraient envie de se lancer ? alors, déjà je dirais que quel... Read more
Bonjour et bienvenue dans les 4v jean-michel blanquer bonjour thomas so vous avez passé 5 ans au ministère de de l'éducation longévité record c'était pendant tout le premier quinquenat d'emmanuel macron et puis l'aventure politique s'est arrêté depuis vous n'aviez quasiment pas parlé aujourd'hui vous... Read more
Bonjour à tous aujourd'hui on va parler du nouveau roman de emma becker le mal joli c'est le 6e ou 7e roman de cette autrice qui est plutôt spécialisé dans l'autofiction érotique on va dire et je pense qu'il m'aurait peut-être plu si je n'avais pas lu son tout premier cette année qui s'appelle monsieur... Read more