Jacqueline Laffont - Avocate pénaliste - Les grands entretiens de Daphné Roulier

Published: Jan 20, 2023 Duration: 00:26:47 Category: News & Politics

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... -Jacqueline Laffont, excepté le totem du barreau Henri Leclerc, rares sont les avocats qui fassent l'unanimité auprès de leurs pairs. Or à l'évocation de votre nom, c'est toujours un concert de louanges. Pourquoi ? -Je n'en sais rien. Je pense que je fais l'objet aussi peut-être d'une certaine bienveillance, peut-être parce que j'ai traversé des moments difficiles. -J'ai une piste. Mettons de côté vos qualités professionnelles éprouvées et reconnues, votre légendaire discrétion dans un milieu à fort ego n'y serait-elle pas pour quelque chose ? -Peut-être. Je pense que, lorsque l'on s'expose, on s'expose aux critiques également. Et donc je ne m'expose pas si souvent que cela. Je porte peut-être moins le flanc à la critique ou aux jalousies. Beaucoup de choses se passent dans nos métiers, dans tous les métiers probablement, d'envie. Voilà. -Alors, Emmanuelle Kneusé, votre consoeur... -Et amie. -Dit que la discrétion fait partie de vos gènes et de cette génération. -Oui, c'est vrai qu'on est peut-être une génération plus discrète. Moi, en ce qui me concerne, j'ai toujours eu une façon de régler cette question. C'est : est-ce que ça sert mon client ou pas ? Et comme je pense qu'en définitive, notre rôle, notre mission, elle s'exerce dans les tribunaux, devant les tribunaux, devant les juges... -Et en aucun cas dans une arène médiatique. Défendre un ancien président de la République, est-ce le même exercice qu'un quidam ? -Ca mobilise toujours les mêmes ressorts, c'est-à-dire que moi, je pense que ce métier, on doit le faire avec une forte capacité d'indignation, de combat. Chaque défense de chaque homme, de chaque femme, c'est à chaque fois un combat pour plus de justice. Il y a évidemment des différences et puis il y a pour l'essentiel beaucoup de points communs. -Vous avez été l'avocate de Nicolas Sarkozy entre autres. -Je le suis toujours. -Vous êtes aux yeux du public l'avocate des puissants, Charles Pasqua, Serge Dassault, Ali Bongo, Laurent Gbagbo, Jean-Marie Messier, Nicolas Sarkozy, on l'a cité, Alexandre Benalla, Nicolas Hulot, Patrick Poivre d'Arvor ou encore Damien Abad. D'ailleurs, comment défend-on à l'ère de MeToo et des gilets jaunes ? -On doit les défendre plus que jamais. Plus que jamais. J'ai le sentiment aujourd'hui qu'on est dans une ère où, effectivement, on veut se passer de la médiation de la justice, de la médiation de la règle, de la médiation de la loi, de la médiation de cet espace sacralisé, qui fait qu'on a une décision qui est le fruit de règles, d'une procédure. Une décision de justice n'existe pas si elle n'est pas recueillie selon des règles qui sont arrêtées par la loi et la justice directe, immédiate, pour moi, n'est pas une justice. Donc, plus que jamais, il faut se battre, parce qu'il y a des dérives qui, à mon avis, sont inquiétantes. Je pense que beaucoup de nos grands principes sont en train de voler en éclats. -Diriez-vous que l'époque entre en dissonance avec les droits de la défense ? Plus que jamais ? -Oui. C'est quand même la grande époque de... de l'accusation. Je trouve que c'est quand même la mode de l'accusation. -L'interpellation publique. -La mode de la dénonciation sauvage, publique, sans ces règles qui font la justice, sans lesquelles la justice n'existe pas. La justice est évidemment imparfaite, elle doit progresser toujours, elle doit être dénoncée lorsqu'elle a des failles, elle doit être améliorée, elle doit en permanence être questionnée. Enfin, je ne la prends pas pour une institution qui serait parfaite et idéale, loin de là. Je me bats tous les jours pour que cette justice soit meilleure. A chacune de mes affaires, je pense que j'agis pour cela. Mais la justice reste la justice, elle ne peut être remplacée par rien d'autre. Et il n'y a pas, encore une fois, de possibilité de s'en affranchir. Et c'est ça que je trouve dangereux, au nom de combats, qui sont évidemment nobles, légitimes, beaux, nécessaires, et tous les qualificatifs possibles, on vient mobiliser des ressorts qui parfois m'inquiètent, de volonté de mort sociale. La réalité, c'est qu'aujourd'hui, point de salut pour les personnes qui ont été un jour accusées dans leur vie d'affaires, jugées ou pas. C'est quand même important de le rappeler. Ces personnes n'ont plus le droit de vivre, n'ont plus le droit d'aller dans un salon littéraire. Elles n'ont plus le droit d'être vues à un spectacle. Donc je trouve qu'il y a une dérive d'une justice populiste. -Vous évoquez, j'imagine, PPDA et Nicolas Hulot. On va en parler, mais j'aimerais vous faire réagir à cette citation : "Le procès est d'abord une cérémonie de paroles. "Il met des mots à la place de la violence, "une peine à la place de la vengeance, et de l'argent "à la place de la souffrance. C'est le sens profond de la justice "que de substituer à l'événement du crime un autre événement, "celui du procès." Ecrivent dans "Victimes, et après ?" Arthur Dénouveaux et Antoine Garapon. Comment reconnaître les victimes dans leur souffrance quand les faits sont prescrits ou les preuves insuffisantes ? -C'est formidable que vous citiez Arthur Dénouveaux et Antoine Garapon, qui est un ancien magistrat, philosophe aussi, qui a beaucoup écrit. Je trouve que cette citation est très juste. En fait, je pense qu'il y a un leurre à vouloir entretenir... il y a un temps pour tout, il y a le temps de la justice et il y a la loi qui, au bout d'un certain temps, devenu très long, c'était probablement nécessaire, on a rallongé les délais de prescription, qui vient vous dire : vous n'avez plus le droit de juger un homme. Donc on vous demande de condamner socialement un homme que la loi interdit de juger. Et si vous voulez, un homme que la loi interdit de juger, c'est un homme qui ne sera jamais condamné. Un homme qui ne sera jamais condamné est un homme qui ne peut pas être présenté comme un coupable. Un homme qui n'a pas été déclaré coupable est un innocent. Nous avons, nous, un rôle, une responsabilité. Tout le monde porte une responsabilité sur le fait d'entretenir certaines plaignantes, victimes peut-être, parmi elles, dans les plaignantes, il y a beaucoup de victimes, c'est une évidence, mais dans le leurre que, finalement, il faut la vengeance. C'est plus une question de justice, c'est une question de vengeance. Eh bien non, je pense que le deuil, ce mot que je n'aime pas trop et assez galvaudé, mais doit exister en dehors de cela. -Comment se reconstruire quand les faits ne sont pas caractérisés, quand ils sont prescrits ? -Ce que je pense profondément, c'est qu'on doit inciter les femmes, quelles qu'elles soient, ou les hommes qui sont victimes à déposer plainte le plus rapidement possible. C'est quand même le meilleur moyen que la justice fonctionne et les délais sont longs. On ne leur demande pas de faire ça dans les 24 heures ni dans les 6 mois ni même dans les 5 ans. Donc, voilà, il faut que les femmes se dirigent le plus nombreuses possible vers les portes des commissariats, vers la justice, qu'elles conservent les preuves, les éléments, les textos envoyés à leurs amis, pour faire en sorte que ces faits soient jugés. Le jour où ils ne peuvent plus être jugés, c'est la loi. Ces mêmes personnes sont probablement les mêmes qui se sont battues contre les tribunaux d'exception. Est-ce qu'on veut dans ce cas une justice d'exception ? Non, il y a des lois. On peut les considérer parfois imparfaites, on a des moyens qui sont ceux de l'arsenal législatif pour éventuellement les faire bouger, la politique, les députés, il y a des institutions, mais si vous voulez, pour moi, on arrive quand même à une justice très populiste, c'est-à-dire qu'on vient finalement faire des dénonciations sauvages, défier les institutions. Moi, je les combats tous les jours, je les trouve insuffisantes, mais... Et finalement s'affranchir de la loi et de la règle et je trouve ça dangereux. -Que répondriez-vous à Adèle Haenel qui désespère de la justice de son pays ? Un viol sur dix aboutit à une condamnation. Qu'en est-il des 9 autres ? Qu'en est-il de ces vies ? Si la justice veut être à l'image de la société, elle doit absolument se remettre en question. -La justice doit se remettre en question. Elle s'est déjà pas mal remise en question sur ces sujets-là. Et moi, ce que je lui réponds, c'est que, lorsque j'accompagne des femmes, car j'en accompagne aussi dans ces parcours, qui sont des parcours douloureux et difficiles, je pense qu'on a un rôle. Vous, les journalistes, avez un rôle, nous, avocats, aussi, c'est celui de leur expliquer qu'il y a des règles et que, s'il y a une plainte à déposer, car elles souhaitent la déposer, car elles estiment avoir été victimes de faits, nous sommes là pour les accompagner, mais il faut leur expliquer qu'au bout de cela, il y aura une décision de justice. Et cette décision sera peut-être difficile à accepter ou pas, mais elle sera celle qui sera rendue selon des lois qui nous protègent tous, qui nous protégeront tous demain, qui protégeront ces femmes, leurs enfants, leurs frères, etc. Donc je pense qu'il faut accepter cette justice avec ces imperfections-là, car il n'y a pas mieux que la justice. -J'aimerais essayer de voir avec vous comment sortir de cette quadrature de cercle avec d'un côté des victimes qui se sentent méprisées, de l'autre des accusés condamnés sans autre forme de procès. Comment on en sort ? -Je pense qu'on a tous à agir. Je pense qu'il y a... Qu'il y a quelque chose à faire accepter et comprendre aux personnes qui sont victimes, qui sont plaignantes. Ou plaignants. Je pense aussi que la presse a un rôle à jouer. Aujourd'hui, je vois la place énorme qui a été donnée dans les quotidiens d'information sur ces sujets, les premières pour sortir et promouvoir des livres, bon, et la place qui est donnée à côté de cela à ceux qui se défendent, elle est à la fois dérisoire et lorsqu'ils osent prendre la parole une fois, ils en entendent parler pendant 2 ans, au point qu'on leur dit, arrêtez de prendre la parole. Donc il y a toute une éducation à refaire, qui est en train de voler en éclats sur le fait que ce n'est pas parce qu'on vient rappeler la règle, la loi, les principes que l'on porte atteinte à des combats nobles et légitimes. Les deux peuvent coexister. Il faut que ça se rencontre, que les journalistes laissent plus de place à ça, qu'ils écrivent dans leurs articles qu'un homme dont les faits ne peuvent pas être jugés car la loi l'interdit, on ne pourra jamais dire qu'il est coupable. Jamais. C'est comme ça. Il faut que les victimes qui veulent s'exprimer aient conscience de cela, et vous savez, je me dis de temps en temps, on entend beaucoup de femmes venir dire qu'elles ont mis 30 ans à réaliser, que ce qui s'était passé ce soir-là, c'était peut-être pas une relation normale, etc. -Et qui invoquent l'amnésie traumatique. -Oui. Alors, l'amnésie traumatique... Mais moi, ce que... Qui est un peu remise en question. Je pense que l'emprise existe, que l'amnésie traumatique existe, mais ce sont des concepts qui ont été vraiment galvaudés, et que, si vous voulez, on peut aussi interroger ces femmes, vous êtes une femme, je suis une femme, on peut toutes avoir des mauvais souvenirs peut-être, mais, à un moment donné, si elles-mêmes ont mis 30 ans à se dire que finalement la façon dont les choses s'étaient passé ce jour-là, peut-être qu'on peut aussi se dire que la personne qui a partagé cette relation-là n'a pas eu cette conscience-là non plus. Quand on parle de ces affaires de viol-là, il y a beaucoup d'autres affaires dont on parle très peu, que j'accompagne de temps en temps, elles occupent beaucoup moins les unes des journaux, mais ces affaires-là, dont on parle, parce que c'est de celles-ci dont on parle, je pense qu'on peut aussi interroger cela. On est dans une vision manichéenne, le bien et le mal, sur des sujets qui sont infiniment complexes, des faits qui sont revisités des années plus tard, à l'aune d'une évolution que je trouve par ailleurs complètement souhaitable et légitime, mais, voilà, rien n'est aussi simple que ça et je pense que cette nuance-là, ce serait bien que... oui, qu'elle ressurgisse chez les uns et chez les autres. -La cour d'appel de Versailles a exhumé récemment une jurisprudence de la Cour de cassation datant de 2005 indiquant que, si des faits prescrits s'inscrivent en liens précis avec d'autres faits non prescrits, la justice peut mener son cours sans se soucier des dates. C'est la sérialité des faits. Si ces liens sont établis, cela changera-t-il la donne pour bon nombre d'affaires en cours ? -Oui, ça changera sûrement la donne pour un certain nombre d'affaires en cours. Vous faites référence à un arrêt que je n'ai jamais lu, puisqu'il est dans un dossier qui concerne un de mes clients, mais auquel je n'ai pas accès. Client qui a fait l'objet d'un classement sans suite. Pour l'instant, nous en sommes là. Sur des faits non prescrits. -PPDA. -Voilà. Je ne vais pas parler de son cas en particulier, mais pour en revenir à cet arrêt-là, je ne l'ai pas lu. J'aimerais bien le lire en entier pour pouvoir le commenter. Là, ce sont quelques extraits qui ont été publiés dans la presse et que j'ai lus. Donc je ne sais pas comment c'est écrit et comment c'est présenté par la chambre de l'instruction. Mais le jour où, si ce jour arrive, je ne sais pas s'il arrivera, mais où cette décision de justice me serait éventuellement opposable, ce qui n'est pas évident, à ce moment-là, je la lirais et éventuellement je pourrais la commenter et éventuellement exercer un recours si je pense que, juridiquement, il y a un recours. -J'aimerais vous faire réagir à cette réflexion d'une magistrate du siège, en région parisienne, interrogée en décembre 2021, par le journal Libération, qui affirmait, je cite, que : "La preuve ne repose pas "nécessairement sur des éléments matériels, "on peut prononcer des culpabilités "à partir de témoignages concordants." Est-ce exact ? La concordance peut peser ? -Oui. Oui. -Je pensais que seule la preuve de la contrainte était exigée par la loi, qu'il ne suffisait pas de dire "je n'étais pas consentante", encore fallait-il le démontrer. -Oui, mais pour le démontrer, vous pouvez effectivement, enfin, les juridictions, les tribunaux, les juridictions de jugement peuvent retenir un certain nombre d'éléments et des témoignages qui seraient concordants, normalement des témoignages directs des faits, ce sont des affaires où il n'y a pas si souvent des témoignages directs et en général, il n'y en a pas. Mais si vous avez un certain nombre d'éléments, d'un texto que vous envoyez, une amie à qui vous en avez parlé en sortant, vous êtes sortie en pleurant, vous êtes allée voir un médecin en sortant, il y a effectivement... -S'il y a un amoncellement de preuves concordantes. -Un amoncellement d'éléments concordants, qui viennent conforter les déclarations d'une personne, s'il y a un certificat médical où on constate des lésions, etc., oui, à ce moment-là, on peut arriver à une condamnation, qui est justifiée ou pas. C'est une question d'analyse de dossier et de cas par cas. -A propos de consentement, la sociologue Irène Théry propose d'introduire dans le Code pénal la notion de crédit de véracité permettant à celles et ceux dénonçant des violences sexuelles de ne plus être soupçonnés de mentir jusqu'à preuve du contraire. Est-ce une piste à creuser ? -Je pense qu'encore une fois, là, on arrive à l'inversion totale de nos principes fondamentaux, de ce qui fait le socle de notre procédure pénale. Au départ, quand une femme va déposer plainte pour un viol, la présomption de véracité, dans les faits, elle existe, mais de proposer, comme le fait Irène Théry, d'en faire un principe qui vient totalement bouleverser la règle de notre droit, qui est que c'est à l'accusation qu'incombe la charge de la preuve, je suis contre les justices d'exception quelles qu'elles soient, contre ce qui ferait de ces faits-là, je dirais, des faits qui feraient l'objet d'un régime dérogatoire, et je pense que, encore une fois, ces affaires doivent être jugées comme les autres, avec la même exigence de recherche de vérité, la même exigence de respect de la parole donnée, mais la même exigence de rechercher des indices et des preuves d'une culpabilité. -Jacqueline Laffont, depuis la déflagration causée par l'affaire Duhamel et le mouvement MeTooInceste, des femmes et des hommes politiques se disent favorables à l'imprescriptibilité des crimes sexuels sur mineurs. Et vous ? -Je pense que la prescription des affaires criminelles sexuelles sur mineurs a été considérablement rallongée, puisque, maintenant, on a le droit de déposer plainte, on peut déposer plainte jusqu'à ses 48 ans, donc 30 ans après sa majorité et parfois plus que cela, puisque des faits peuvent avoir eu lieu quelques années auparavant encore. Je pense qu'une justice qui intervient si tardivement est une justice qui n'en est plus une. Ces règles de prescription, elles ont été rallongées. Pour le coup, l'amnésie traumatique chez les enfants, je pense que ça a probablement plus de sens, ça peut avoir un sens et puis, on est dans un univers familial, c'est plus compliqué, les enfants doivent être protégés plus que d'autres, etc. Mais on ne peut pas aller au-delà. C'est totalement déraisonnable. La prescription, ça n'est pas fait pour protéger les coupables, c'est fait pour protéger une justice qui ait un sens. C'est un rempart contre l'arbitraire. C'est un rempart contre des procès sans preuves. Bien sûr. Non, je suis fondamentalement contre. Et puis, quand même, je repense à cette pauvre Elisabeth Badinter, qui s'est fait conspuer... -Ecoutons-la. -Très bien. *-Où on est maintenant ? Où sommes-nous ? *Pour mépriser à ce point la justice ? *Je suis parfaitement *en accord avec le ministre de la Justice et ses déclarations d'hier, *on peut pas à ce point mépriser les principes démocratiques. *-Eric Dupond-Moretti a dit : *il est temps de siffler la fin de la récréation. *C'est extraordinairement dangereux ce qui est en train de se passer, *certains se font dévorer par un monstre qu'ils ont créé. *Les réseaux sociaux ne peuvent pas être l'unique réceptacle *sans filtre de cette parole. La justice doit intervenir. *Mme Rousseau n'est pas procureur de la nation. C'est ce qu'il dit. *-Ce que reprochent, et je peux le comprendre, *les féministes de MeToo à la justice, *et raisons pour lesquelles elles leur tournent le dos, *c'est la question de la prescription. *Quand c'est prescrit, *il n'y a pas d'enquête policière. *Non, non, non. C'est la fin, je dirais, *de la présomption d'innocence et d'un travail sérieux. *On n'est pas non plus... On peut s'interroger, *pourquoi on ne porterait pas plainte avant la prescription ? *-Parce que, parfois, les femmes se taisent. *-Pardon ? *-Parfois, les femmes se taisent. *-Il faut aussi prendre ses responsabilités. *Je comprends très bien que, pendant un certain temps, *même des années, ça soit impossible à évoquer, *mais quand même, 10 ans... -Bien plus que 10 ans. -La philosophe Elisabeth Badinter s'est fait incendier sur les réseaux après ses propos sur MeTooPolitique. Qu'est-ce que vous en pensez ? Certaines avocates considèrent qu'ils sont très violents. -Ecoutez, moi, d'abord, c'est une femme envers laquelle j'ai beaucoup d'admiration, j'oublie pas ses combats. C'est une féministe avant tout. Et je trouve que, vraiment, les réactions auxquelles cet entretien a... -A suscité. -Voilà. Sont absolument scandaleuses. Racistes. Violentes. Immondes. Et c'est ce que je vous disais, derrière ces combats nobles, je trouve qu'il y a des ressorts très inquiétants quand même. Et je pense qu'il n'est pas possible de ne pas accepter la discussion. Qu'elle se soit faite de cette manière-là, je dirais, insultée à la suite de cette réaction, je pense que c'est proprement inadmissible, mais j'aimerais entendre les personnes le dire. Ensuite, elle exprime un point de vue. On a encore le droit d'exprimer son point de vue. Et ensuite, moi, je suis, je ne dirais peut-être pas les choses... chacun dit les choses à sa manière, mais je suis absolument d'accord avec elle sur le fait que ce que l'on veut en fait anéantir, c'est dans ces affaires-là la présomption d'innocence. Non, elle doit exister et c'est ça, le combat, qui est un combat difficile. Et je partage totalement ce qu'elle a dit. -Pensez-vous que la prescription peut aider la parole à émerger, que c'est une incitation ? -Ecoutez, je pense que ça peut être une incitation. Cette prescription, elle est, non pas de 10 ans, mais de 20 ans et de 30 ans pour les mineurs, donc elle est déjà extrêmement longue. Ensuite, il y a l'idée de la justice. Cela a-t-il un sens, ces procès si longtemps après dans des affaires où il est déjà difficile d'avoir les preuves juste après les faits ? Ca ne peut donner lieu qu'à des frustrations, qu'à une parodie de justice. Enfin, ça n'a pas de sens. Et puis, par ailleurs, oui, ça doit inciter les femmes à déposer plainte. Dans des affaires où, par exemple, il y a 30, 40, 90 personnes qui viennent se plaindre de faits, comment vous expliquez qu'il y en ait 90 qui n'aient pas eu l'idée, pas une, de déposer plainte dans le délai de la prescription ? On doit aussi s'interroger. Il faut dire les choses. -Comment expliquez-vous que 90 femmes n'aient pas osé porter plainte avant les délais de prescription ? -Certaines d'entre elles disent elles-mêmes qu'à l'époque, elles n'ont pas eu conscience de ça. Donc on revisite les choses. Moi, je suis prête à parler de toutes les affaires que vous voulez, qui ont lieu là aujourd'hui, celles-ci, on en entend beaucoup moins parler. Je suis en train d'accompagner une jeune femme qui a fait l'objet d'un viol, je suis aux côtés de plein de femmes dans ce cas, c'est normal, je les accompagne dans ces faits-là, j'en accompagne certaines même qui sont venues me voir pour des affaires prescrites, mais je suis toujours claire, je suis toujours en cohérence avec moi-même. Quel que soit le côté de la barre, j'ai toujours le même discours. -Quand Elise Lucet insiste sur le fait qu'il n'existe pas de prescription journalistique, qu'est-ce que cela vous inspire ? -Franchement... Elise Lucet, les émissions qu'elle a consacrées à certaines de ces affaires médiatiques, dont certaines sont à mon cabinet, je pense que ce sont... des lynchages, des lynchages en règle. Dans lesquels il n'y a aucune place pour une autre parole. Au point que, moi, je renonce totalement à la prendre. Il n'y a pas de place pour ça. Vous êtes enfermé dans quelque chose de compliqué. Si vous portez une autre parole, si vous venez simplement rappeler des choses évidentes, basiques, telles que les principes, vous êtes disqualifié, vous êtes accusé d'être contre ce combat-là. -Malgré tout, les journalistes ont un rôle à jouer. Depuis l'affaire Dreyfus, on sait que les enquêtes peuvent amener à des ouvertures de poursuites, de procédures. -Depuis l'affaire Dreyfus, vous savez, de temps en temps, je me dis, c'est là que les choses changent. Depuis Outreau, j'essaie de chercher une affaire où des journalistes ont recherché une innocence. Je n'en ai pas trouvé. Je n'en ai pas trouvé. Il y a des principes qui doivent être sacrés. Or ils ne le sont plus aujourd'hui. On s'affranchit de ces principes au nom de la noblesse d'un combat. Et derrière la noblesse de ce combat, on voit ressurgir des choses que je trouve encore une fois pas forcément très belles et très respectables toujours. C'est, encore une fois, cette volonté de mort sociale. -"A chaque fois que je me lève pour défendre quelqu'un, "je me dis que je suis à ma place. Il faut y croire quand on entre "dans l'arène." C'est ce que vous disiez sur France Inter. Vous arrive-t-il d'en douter ? -Moi, vous savez, je doute beaucoup. Je doute beaucoup. Je doute avant chaque plaidoirie, après chacune, je pense que le doute, c'est vraiment quelque chose qui doit vous accompagner. C'est pas facile d'être habité par le doute en permanence, sur soi, sur ses capacités, est-ce qu'on fait bien, mal, etc. Moi, le doute m'accompagne sur tout, dans tout, tout le temps, donc évidemment dans mon métier. En revanche, je ne doute jamais qu'un homme ou une femme doit toujours être défendu. Je n'ai jamais autant envie de défendre les gens que lorsqu'ils sont accablés, lynchés. Parfois, on me dit, arrête de défendre Untel, Untel, etc. Mais en fait, je pense que, oui, voilà, quand on défend, on est un peu seul contre tous. C'est dur par moments. C'est dur, mais le jour où je n'aurai plus envie de faire ça, il faudra que j'arrête d'être avocat. -Merci. SOUS-TITRAGE : RED BEE MEDIA ...

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